dimanche 24 novembre 2013

Toni Catany

Toni Catany est mort le 14 octobre 2013, à 71 ans. Il était majorquin et un des plus grands photographes espagnols contemporains.

Cela ne fait pas longtemps que je l'ai connu à Barcelonne - où il habitait - dans une foire de livres d'art à laquelle je participais pour me faire connaître des photographes et éditeurs. Il passa devant ma table et se mit à regarder mes gravures. Il les regarda très attentivement, une fois et une autre, il me posa quelques questions techniques dont je ne me souviens pas. Il me raconta qu'il avait chez lui des catalogues des expositions du Photo-Club de Paris imprimés avec des héliogravures. Le lendemain il revint chargé avec deux vieux volumes et il me montra ces petites photos centenaires imprimées avec des tons variés. Après avoir discuté quelques instants il me dit, en souriant, qu'il voulait me commander quelques plaques, et nous nous rencontrâmes plus tard chez lui pour parler de la question.

Dans son bel appartement du quartier du Raval il me montra son laboratoire, des photographies anciennes et modernes, des livres et publications. Je fus surpris par l'ordre, le bon traitement de ses oeuvres et leur archivage. Nous discutâmes du type d'images qu'on pouvait faire, des gens qui pouvaient être intéressés... on accorda qu'il y réfléchirait. Quelques jours après il m'appela et me concrétisa la commande. Ce n'était pas simple : il s'agissait de passer à l'héliogravure deux calotypes faits à Majorque en 1979 - qu'il m'envoya par la poste - et quelques archives numériques récents de l'Inde et Cambodge.

DEUX CALOTYPES
Je commençai par les calotypes, principalement parce que je trouvais pleine de sens l'union des deux principaux procédés inventés par Fox Talbot. J'expliquai l'idée à Toni et je lui proposai de faire un portfolio d'héliogravures de calotypes en hommage à Talbot, avec un texte-commentaire. Je ne réussis pas à le convaincre : il aima bien l'idée mais il pensait que ces choses ne seraient appréciées que par quelqu'uns.


Toni Catany. Llucalcari Nadal 79 (I). 1979. Negatif en papier. 11x15,5 cm.

Llucalcari Nadal 79 (I). 2012. Héliogravure
Au début, je n'aimais pas trop la texture qui produisait le négatif de papier, je la trouvais excessive par rapport au format des images (11x15,5cm) ; je proposai à Toni d'appliquer une substance graisse pour rendre la base plus transparente afin de réduire le « bruit », cependant il me dit qu'il avait déjà fait cela et le résultat ne l'avait pas satisfait (probablément aussi, le fait de graisser ses negatifs de papier lui faisait horreur).

Toni Catany. Llucalcari Nadal79 (II). 1979. Negatif de papier. 11x15,5 cm.

Llucalcari Nadal79 (II). 2012. Héliogravure
Après, je commençai à apprécier cette texture et aussi certains petits détails, comme une tache jaunâtre, à peine visible, qui filtrait pourtant le passage de la lumière, un petit pli au coin en bas à droite... je compris que le calotype est de la photographie doublement : d'une part il est l'empreinte de la lumière qui vient de l'objet ; d'une autre, il est l'empreinte de la lumière qui traverse l'objet où on a fait la photographie, avec son structure interne, ses accidents et annotations au verso (Llucalcari Nadal 79). Les bases transparentes comme le verre ou le celluloïd réduisirent l'image à la lumière qui entre par l'objectif, et limitèrent la texture à celle du grainage des sels sensibles et du papier photographique.

J'ajoutai au positif une discrète marge noire. Pour structurer la surface du cuivre, j'utilisai le bitume de judée afin d'obtenir un grainage le plus fin possible, en évitant ainsi une texture encore plus marquée. Après avoir parlé avec lui, je réalisai les matrices (c'était facile de travailler avec lui, normalement il était d'accord avec mes propositions). Enfin je fis le tirage de 12 épreuves sur papier Arches avec une mélange d'encres qui suggère la tonalité des calitypies. Il fut content et il me promit de me rendre, signée, une épreuve de chaque héliogravure à la fin des travaux.

TROIS IMAGES DIGITALES
 
Malgré son goût pour la photographie traditionnelle, le laboratoire et les anciennes procédés, Toni utilisait dernièrement des appareils numériques. J'imagine que cela lui permettait travailler d'une façon plus libre et immédiate, voyager moins chargé, élaborer les images sur le terrain, se passer de l'attirail du laboratoire chimique, se centrer sur la prise... Avant son dernier voyage en Inde, il s'acheta un Leica numérique, je ne me souviens pas du model : là-bas on la lui vola. Pour moi cela aurait été un vrai drame, cependant il ne lui donna pas trop d'importance et me dit que cet appareil ne lui plaisait pas trop.

Toni m'envoya via Internet quatre images numériques, on en choisit trois. Les deux premières, de l'Inde : un paysage nocturne et une panoramique des temples jains de Palitana avec deux figures en premier plan. La troisième image était d'un des temples hinduistes d'Angkor, Cambodge.


Toni Catany. Arbres d'India. Image numérique

Quand il fit cette photo, il n'y avait presque pas de lumière, ce qui produit dans l'image un grainage très intéressant mais très compliqué de passer à l'héliogravure. Je ratai plusieurs plaques avant d'obtenir un résultat satisfaisant d'un fragment de l'image. Je trouve énigmatique le mouvement curviligne des lumières qui contraste avec l'immobilité des arbres.



Toni Catany. Palitana. Image numérique

La quantité de petits détails exigeait, probablement, un format plus grand. Les figures m'intriguent : le bonjour serein du personnage à droite et l'air pressé de celui à gauche qui, par son geste et sa corpulence, ressemble à un homme.


Toni Catany. Angkor. 2010. Image numérique

Cette image était la moins difficile pour l'héliogravure, cependant, la finesse du bitume de judée provoqua quelques crevées qui exigèrent pas mal de retouches.


LES POSITIFS NUMÉRIQUES
Le problème de l'héliogravure à partir de l'image numérique se limite à la réalisation du cliché positif, mais cela n'est pas si simple. Après avoir essayé sans succès un positif verdâtre comme ceux qui s'utilisent pour le platine-palladium, je dus m'acheter une imprimante d'injection et les supports translucides ad hoc ; essayer les positifs rougeâtres que quelqu'un préconise (qui ne fonctionnèrent pas) ; acheter un jeu monochromatique d'encres pigmentées ; réussir à faire fonctionner les programmes pour la réalisation des courbes correspondants à chaque encre ; tromper l'imprimante pour qu'elle marche avec les cartouches étrangères (ce qui ne fonctionne pas toujours à la première tentative). Enfin, malgré toutes les difficultés, j'obtins ce que je cherchais (grâce à la référence des positifs traditionnels sur film sensible). Ce que j'ai verifié une fois de plus c'est que les recettes des autres ne fonctionnent pas : chacun doit ajuster toutes les opérations à son système de travail et, pour ce faire, il faut toujours commencer de zéro.

Arbres d'India. Positif numérique pour l'héliogravure. 18x24cm

 
Palitana. Positif numérique pour l'héliogravure15,7x28cm

Angkor. Positif numérique pour l'héliogravure. 18,9x25,2 cm
Avec tout cela, et la naissance de mon deuxième enfant, le temps s'écoula et je ne pus plus aller à l'atelier. Je rendis visite à Toni pour lui donner les calotypes et lui montrer l'état des épreuves numériques. Je lui expliquai que je devais démonter l'atelier. Peut-être il me vit un peu affligé et, pour me consoler, il dit que je pouvais être content d'avoir une famille tandis qu'il était sol com un mussol (en catalan : « tout seul comme un hibou »). Pour me faire pardonner je lui offris une de mes héliogravures et il me dit qu'il allait l'exposer dans son futur musée de Lluchmajor, sa ville de naissance. Quand je lui dis adieu je lui promis de finir la commande aussitôt que possible.

Cela m'aurait plu de lui amener les gravures à Majorque et visiter son musée, encore qu'il m'avait déjà raconté avec tristesse, que la chose se retardait, que l'argent assigné avait disparu... J'espère que maintenant, après sa mort, les responsables politiques auront eu honte et qu'ils accéléreront sa mise en marche. Pour ma part, j'espère pouvoir finir bientôt toutes les épreuves et les amener, avec les cuivres, au Centre international de photographie Toni Catany.

mercredi 6 novembre 2013

Le perchlorure

Pour la morsure d’héliogravures on utilise normalement plusieurs solutions de chlorure ferrique –perchlorure– de différent concentration. Cela se doit au fait que la vitesse de pénétration de l’acide dans la gélatine soit inversement proportionelle à la concentration du bain.

La plaque est dans le premier bain : le plus concentré

Le papier charbon

Le papier charbon ou papier pigment est formé par une feuille de papier récouverte d’une couche de gélatine pigmentée. Le type utilisé pour l’héliogravure est semblable à celui du procédé photographique au charbon ; la différence la plus visible étant celle du pigment qu’on ajoute à la gélatine : un oxide rouge de fer au lieu de poudre de charbon.

Papier charbon Autotype G35 pour l'héliogravure

Technique


L. H. Presse à gravure. Héliogravure. 2001. 14x21 cm


DESCRIPTION
La matrice d’une héliogravure se réalise moyennant le transfert, sur une plaque de cuivre, de la couche de gélatine d’une feuille de papier charbon exposée à la lumière au-dessous d’un cliché positif. Après avoir éliminé à l’eau chaude la gélatine non endurcie par la lumière, il restera sur la plaque un relief de gélatine –la réserve– où on pourra voir le négatif de l’image ; dans ce relief les zones les plus minces se correspondent avec les tons les plus obscurs du cliché. Une fois que la gélatine s’est séchée, on protège les bords et le verso de la plaque et on fait la morsure dans le perchlorure. Le mordant pénètre dans la gélatine, en la gonflant, et il atteint la surface du métal graduellement : d’abord dans ces zones-là où la couche est plus mince et après dans celles-là où elle est plus épaisse. De cette façon on produit différents temps de morsure et, en conséquence, des creux de différentes profondeurs dans le cuivre, ce qui se traduira dans les différents tons de l’estampe. L’encrage et l’impression se font à la main selon les processus habituels de la gravure chalcographique. 

CONNAISSANCES PRÉALABLES
Pour la pratique de l’héliogravure, en plus des techniques habituelles de la photographie, on doit connaître d’autres techniques propres du procédé au charbon : la préparation des solutions de dichromate, les méthodes de sensibilisation, l’exposition et le transfert du papier charbon. Il faut aussi se familiariser avec les opérations propres de la gravure chalcographique, comme la préparation des plaques, le grainage, la préparation et l’utilisation du perchlorure ; et avec celles de l’impression, la préparation de la presse à gravure, le choix des feutres, la préparation des papiers, des encres, etc. L’image finale dépendra de l’utilisation cohérente de tous ces éléments. La théorie et la pratique du système des zones fournit une excellente base pour la maîtrise du procédé.

Pour le reste, l’héliogravure est une technique purement photographique et, comme quelqu’une d’autre, elle exige préalablement le calibrage du propre système : appareil photo, objectifs, exposimètre, pellicules, révélateurs, imprimantes, densitomètre, etc. Enfin, elle exige aussi la coordination maximale des actions pour l’obtention de l’image désirée. 

DIFFICULTÉS
Bien que le procédé soit simple, sa pratique présente certaines difficultés : les conditions atmosphériques –température et humidité– affectent le comportement des gélatines et altèrent les résultats ; les clichés doivent avoir des intervalles de densité que chaque pratiquant doit établir en fonction de son système ; la sensibilisation du papier charbon peut être complexe ; l’exposition, transfert et développement des réserves peuvent présenter des problèmes qui des fois sont exaspérants. Il est donc nécessaire d’étudier en profondeur les matériaux, les variables qui déterminent leur comportement et la façon dont ils affectent le ton d’image. Avec la pratique on arrivera à dominer les diverses opérations et on pourra obtenir des réserves consistantes. Grâce à cela, il sera possible de planifier correctement les morsures : leur durée, la concentration et la séquence des bains, en réduisant les probabilités d’erreur à cette phase décisive du processus. De cette façon on pourra compenser au moment de l’impression les éventuelles petites différences de morsure entre les plaques et on pourra réaliser des séries de tonalité homogène.